Renaud : 3 semaines d'uchi deshi

Renaud, est parti 3 semaines Uchi deshi à Worclaw en Pologne, dans le dojo de Piotr Masztalerz.

Voici son retour :

S’IL SOURIT, C’EST UNIQUEMENT PARCE QU’IL AIME LE SON QUE FAIT SON JO SUR TES DOIGTS

J’ai eu la chance, sur la recommandation d’Anne Ducouret sensei et avec l’accord de Piotr Masztarlez sensei de pouvoir être uchi deshi dans le dojo de ce dernier pendant trois semaines à Wroclaw, en Pologne. Ce dojo est membre du Birankai.

Etre uchi deshi signifie littéralement être élève interne, ce qui signifie que, comme deux autres personnes en même temps que moi, je vivais dans le dojo et prenais ma part des tâches quotidiennes à la bonne marche de celui-ci, du ménage à l’accueil en passant par les réparations diverses qui sont toujours nécessaires.

Et bien sûr, il y a l’entraînement.  Celui-ci est à la fois extensif et intensif. Extensif d’abord en terme de volume, environ 25 heures par semaines de pratique. Intensif ensuite parce que l’objectif est de pouvoir toucher ses propres limites à chaque cours.

Cette dernière notion est difficile à exprimer car elle touche à la fois à l’expérience intime et à un type de programme (celui d’uchi deshi) qui est particulier. Par défaut, il ne s’agit pas d’un stage qui s’étendrait sur un temps plus ou moins long et durant lequel l’enseignant présente sa pratique. Au contraire, en tant qu’uchi deshi, il s’agit de rentrer et de trouver sa place dans un dojo au sein des entraînements quotidiens qui existent. Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’une pratique quotidienne dans un autre dojo que le sien. L’extensivité du programme participe de cette radicalité puisqu’il n’est pas possible d’envisager d’avoir ses activités quotidiennes normales (hors Aikido j’entends). Il s’agit donc d’un temps pris pour soi, pour aller toucher ses limites, finalement d’un voyage vers soi-même.

Durant ce voyage, j’ai pu ouvrir une porte vers ma part instinctive, animale. Je ne prétends pas encore ni la connaître, ni savoir quoi en faire, mais la porte est ouverte.

Cette porte, elle ne s’ouvre pas toute seule, il faut la forcer. Je me rappelle les paroles de Piotr Masztarlez sensei lorsque je nous nous sommes rencontrés lors du premier cours un lundi soir : « Bienvenue parmi nous, ton travail pour les trois prochaines semaines sera de survivre. »

Cette notion de survie, j’ai aussi envie de m’arrêter un peu dessus parce qu’il me semble qu’elle a plusieurs significations. D’abord, c’est une réalité physique, dans son dojo, Piotr Masztarlez sensei développe un travail très exigeant pour le corps et il pousse ses étudiants à libérer cette part instinctive que chacun porte. Le résultat est que j’ai eu la sensation de me retrouver au sein d’une meute dans laquelle il faut trouver sa place et chez les loups, c’est en mordant et se faisant mordre que l’on sait se situer par rapport aux autres.

La seconde signification concerne l’entraînement vécu comme uke de Piotr Masztarlez sensei. Quelque soit le niveau dans lequel on se situe, il pousse à la limite de ce que l’on peut recevoir et si le ma ai est mauvais, la sanction est immédiate par l’atémi.

Mais l’atémi ne sert pas qu’à corriger une erreur technique, il sert aussi, couplé à la fatigue, à casser le masque social pour faire émerger la vrai personnalité, celle dans laquelle il y a du prédateur. Pour moi, le déclic a été lorsque Piotr Masztarlez sensei a fait exploser mon jo dans mes mains. J’ai compris que ce n’était pas parce que j’étais relax que j’étais en sécurité mais que le fait d’être relax allait, peut-être, me permettre de survivre. C’est vraiment là le coeur de l’enseignement que j’ai reçu et qui touche aussi à la réalité de l’Aikido en tant que budo. Tout ce qui se passe sur le tatami est pour de vrai, ce n’est pas un jeu.

Comme je l’ai dit, une porte s’est ouverte mais je n’ai pas encore exploré cette part animale en moi. Je compte sur mes sempai (en particulier les plus costauds d’entre eux) pour me permettre de la travailler.

Etre uchi deshi, c’est aussi rentrer dans un programme qui a un sens particulier. En effet, pour Piotr Masztarlez sensei, il s’agit d’un programme dont le but est la professionnalisation des élèves.

De ce point de vue, l’expérience m’a permis, si ce n’est de trouver des réponses, au moins de se poser des questions. D’abord parce que notre pratique n’étant pas compétitive, la seule voie de professionnalisation existante est celle de l’enseignement. Ensuite, vu mon âge d’une part et le fait que j’exerce un métier qui me convient d’autre part, je ne me projette pas dans le futur comme tirant mes ressources de l’enseignement de l’Aikido.

Toutefois, la question de l’enseignement se pose et j’envisage, bien sûr dans le futur, de pouvoir y contribuer.

C’est en particulier un échange avec Piotr Masztarlez sensei qui m’y a fait réfléchir. Le propos était la distinction entre un maître et un sensei. Il a utilisé l’image de la rivière avec sur une rive l’élève débutant et sur l’autre l’élève ayant atteint l’état d’illumination. Et pour traverser cette rivière, il y a un bateau avec le professeur (donc le sensei) pour le guider. Le sensei fait inlassablement l’aller-retour d’une rive à l’autre en prenant à chaque fois un élève avec lui. Et l’élève qui a fait la traversée a le choix : soit à son tour il prend une barque et accompagne d’autres pour faire la traversée ou bien il continue sur le chemin de l’illumination, et il devient un maître.

Aujourd’hui, mon chemin sur la voie de l’Aikido ne peut se réaliser que grâce à mon professeur Anne Ducouret sensei qui, gage de confiance, m’a permis d’approfondir mon étude auprès d’un autre professeur, Piotr Masztarlez sensei. Sans elle d’abord et sans lui ensuite, le chemin n’est pas possible. Il me semble donc que, le temps venu, j’aurai aussi ma place à prendre dans une logique de « chaînage de filiation ».

Je ne veux pas trop insister sur l’aspect technique de l’enseignement, simplement parce que trois semaines sont trop courtes pour que quelque chose soit transmis de ce point de vue. Un point toutefois sur lequel j’ai pu travailler et que je garde à l’esprit durant la pratique est l’attention à la verticalité.

Enfin, être uchi deshi, c’est aussi une aventure humaine. Je veux insister sur cette partie afin que nul ne se méprenne. Les personnes avec qui j’ai pratiqué sont des gens extrêmement accueillants et sympathiques, et des amitiés commencent à naître, ce qui n’empêche l’exigence sur le tapis.

Merci à Piotr Masztarlez sensei pour son accueil et son enseignement et merci à Anne Ducouret sensei pour la confiance accordée en me permettant de vivre cet aller et retour.